Cet article n'est en fait qu'un prétexte, dont le Festival
de La Rochelle, rendant hommage à Jodorowsky et Arrabal,
fonde l'excuse: revenir sur un mouvement suspect si ce n'est
fictif, en tout cas fuyant et tordu, puisqu'il se voulut dès
l'origine un antimouvement, voire un faux mouvement. Un... re-muement
donc, qui prôna l'éphémère, le hasard,
la fête, l'euphorie, l'os et la moelle. Réunie pour
la première fois en 1960 dans un café parisien
connu pour ses serveurs enru-bannés (le Café de
la Paix, incroyablement turc), cette société secrète
s'est un temps appelée Burlesque. Ce qui al-lait bien
avec la rhétorique clownesque de ses trois seuls membres
(un Chilien, un Espagnol, un Parisien). Mais, en 1962, elle a
finalement opté pour Panique, au masculin: le Panique.
Terrorisme sémantique, révolution de palais? «Non,
répondaient Topor, Arrabal, Jodorowsky (rois mages
paniquants et grotesques), le Panique: juste un mot à
remplir..»
Art païen. Remplir un mot, c'est bien mais l'enfler
d'une centaine de happenings, de textes, de dessins et de films
en dix ans, c'est une façon de prendre d'assaut le monde
assoupi des «augustes» (parmi lesquels ils finirent
même par compter les surréalistes, jugés
décevants et embourgeoisés). «Le penseur
Panique est unguerrier», son arme est cette logique
qui procède par élimination, accouchant d'un art
païen ayant la puissance d'une corrida contestataire. A
moins que ce ne soit une grande farce grand-guignolesque, un
concile hasardeux, un cirque paranoïaque, un «opera
mundi» mystique ou tout simplement un étron
allégorique! Ses plus beaux exemples: une pièce
éphémère jouée le 24 mai1965 à
Paris, où Jodorowsky, habillé d'un simple slip
de cuir noir inspiré des shows de Vince Tay-lor dans les
boîtes minables de Pigalle, égorgeait des poulets
vivants sur une fille aux seins nus, dans une perspective mé-taphysique
puisque «le moi est situé chez les Grecs dans
l'estomac, le cerveau ne sert donc que de glacière».
Ou enco-re le torero Diego Bar-don, opérant une «au-tocornada»
dans une galerie d'art en 1972:
cérémonie au cours de laquelle il se blessa profondément
avec une corne et macula de son sang les visages des autres membres
du groupe. Et bien sûr, des films: dès 1968 pour
Jodorowsky (El Topo, westem-spaghetti en cuir noir; la
Montagne sacrée, délire psy-chédélique
aztèque recouvert de sang et produit par John Lennon ou,
plus récemment, Santa Sangre, tour de cirque magicosymboliste);
et, dès 1971, pour Arrabal (Viva la muerte, J'irai
comme un cheval fou, le Cimetière des voitures). Ce
sont ces films que l'on peut revoir à La Rochelle.
Le cinéma Panique se caracté-rise souvent par son
excès, sa drôlerie rabelaisienne, son ri-tuel, sa
terreur entière, prônant la possession de «to
ut ce qui est impur, donc humain: la saleté, le sordide,
la réalité jusqu'au cauchemar», infusant
un en-voûtement poétique à des images primitives,
où le surnaturel et le profane rejoignent la mystique.
Imprévisibilité. Rappelons que Le Panique
dédiait son mode de vie au dieu Pan, en ai-mant souligner
que la divinité grecque fut bouffon dans son enfance,
avant d'épouvanter plus tard les hommes par ses apparitions.
Cette brusquerie imprévisible est précisément
le ciment du groupe, fondé sur cette phrase - à
la base un collage farfelu: «L'avenir agit en coups
de théâtre.» De cette pirouette mathé-matique,
Arrabal le théoricien tirera une philosophie de l'hom-me
Panique fondée sur la mémoire, le hasard et la
confusion; Jodo-rovsky le performer enfera le prétexte
à une vie de gourou prophétique, où le jeu
(de tarot) se confond avec l'art et où la fête côtoie
l'isolement indifférent; Topor, de son côté,
y puisera sa philosophie de comptoir et ses maximes aussi scatologiques
que ses irrempla-çables dessins.
Peu à peu le mot Panique a re-trouvé sa racine
féminine. Néanmoins, ses survivants se fréquentent
toujours. Si la nais-sance du Panique est connue, sa fin progressive
échappe à
toute chronologie. D'une part parce que, dédaignant toute
lo-gique, ses membres ont tou-jours prôné une solitude
à l'in-térieur du groupe et multiplié très
tôt les projets personnels. D'autre part et surtout parce
que Le Panique, ne faisant jamais rien comme tout le mon-de,
avait eu le nez de s'autoproclamer momentané mais ressuscitable
par tous: «Tout le monde peut se nommer président
de Panique», a déclaré Ar-rabal. Un souffle
insaisissable que Topor aurait apparenté à un pet,
mais que l'on peut, au-tant nous en emporte, compa-rer à
un vent... de panique.
PHILIPPE AZOURY
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