FILM:

28e FESTIVAL DU FILM

DE LA ROCHELLE
Le Panique gagne La Rochelle
Hommage charentais au mouvement iconoclaste
fondé par Topor, Arrabal et Jodorowsky.

 

Cet article n'est en fait qu'un prétexte, dont le Festival de La Rochelle, rendant hommage à Jodorowsky et Arrabal, fonde l'excuse: revenir sur un mouvement suspect si ce n'est fictif, en tout cas fuyant et tordu, puisqu'il se voulut dès l'origine un antimouvement, voire un faux mouvement. Un... re-muement donc, qui prôna l'éphémère, le hasard, la fête, l'euphorie, l'os et la moelle. Réunie pour la première fois en 1960 dans un café parisien connu pour ses serveurs enru-bannés (le Café de la Paix, incroyablement turc), cette société secrète s'est un temps appelée Burlesque. Ce qui al-lait bien avec la rhétorique clownesque de ses trois seuls membres (un Chilien, un Espagnol, un Parisien). Mais, en 1962, elle a finalement opté pour Panique, au masculin: le Panique. Terrorisme sémantique, révolution de palais? «Non, répondaient Topor, Arrabal, Jodorowsky (rois mages paniquants et grotesques), le Panique: juste un mot à remplir..»


Art païen.
Remplir un mot, c'est bien mais l'enfler d'une centaine de happenings, de textes, de dessins et de films en dix ans, c'est une façon de prendre d'assaut le monde assoupi des «augustes» (parmi lesquels ils finirent même par compter les surréalistes, jugés décevants et embourgeoisés). «Le penseur Panique est unguerrier», son arme est cette logique qui procède par élimination, accouchant d'un art païen ayant la puissance d'une corrida contestataire. A moins que ce ne soit une grande farce grand-guignolesque, un concile hasardeux, un cirque paranoïaque, un «opera mundi» mystique ou tout simplement un étron allégorique! Ses plus beaux exemples: une pièce éphémère jouée le 24 mai1965 à Paris, où Jodorowsky, habillé d'un simple slip de cuir noir inspiré des shows de Vince Tay-lor dans les boîtes minables de Pigalle, égorgeait des poulets vivants sur une fille aux seins nus, dans une perspective mé-taphysique puisque «le moi est situé chez les Grecs dans l'estomac, le cerveau ne sert donc que de glacière». Ou enco-re le torero Diego Bar-don, opérant une «au-tocornada» dans une galerie d'art en 1972:
cérémonie au cours de laquelle il se blessa profondément avec une corne et macula de son sang les visages des autres membres du groupe. Et bien sûr, des films: dès 1968 pour Jodorowsky (El Topo, westem-spaghetti en cuir noir; la Montagne sacrée, délire psy-chédélique aztèque recouvert de sang et produit par John Lennon ou, plus récemment, Santa Sangre, tour de cirque magicosymboliste); et, dès 1971, pour Arrabal (Viva la muerte, J'irai comme un cheval fou, le Cimetière des voitures). Ce sont ces films que l'on peut revoir à La Rochelle.
Le cinéma Panique se caracté-rise souvent par son excès, sa drôlerie rabelaisienne, son ri-tuel, sa terreur entière, prônant la possession de «to ut ce qui est impur, donc humain: la saleté, le sordide, la réalité jusqu'au cauchemar», infusant un en-voûtement poétique à des images primitives, où le surnaturel et le profane rejoignent la mystique.


Imprévisibilité. Rappelons que Le Panique dédiait son mode de vie au dieu Pan, en ai-mant souligner que la divinité grecque fut bouffon dans son enfance, avant d'épouvanter plus tard les hommes par ses apparitions. Cette brusquerie imprévisible est précisément le ciment du groupe, fondé sur cette phrase - à la base un collage farfelu: «L'avenir agit en coups de théâtre.» De cette pirouette mathé-matique, Arrabal le théoricien tirera une philosophie de l'hom-me Panique fondée sur la mémoire, le hasard et la confusion; Jodo-rovsky le performer enfera le prétexte à une vie de gourou prophétique, où le jeu (de tarot) se confond avec l'art et où la fête côtoie l'isolement indifférent; Topor, de son côté, y puisera sa philosophie de comptoir et ses maximes aussi scatologiques que ses irrempla-çables dessins.
Peu à peu le mot Panique a re-trouvé sa racine féminine. Néanmoins, ses survivants se fréquentent toujours. Si la nais-sance du Panique est connue, sa fin progressive échappe à
toute chronologie. D'une part parce que, dédaignant toute lo-gique, ses membres ont tou-jours prôné une solitude à l'in-térieur du groupe et multiplié très tôt les projets personnels. D'autre part et surtout parce que Le Panique, ne faisant jamais rien comme tout le mon-de, avait eu le nez de s'autoproclamer momentané mais ressuscitable par tous: «Tout le monde peut se nommer président de Panique», a déclaré Ar-rabal. Un souffle insaisissable que Topor aurait apparenté à un pet, mais que l'on peut, au-tant nous en emporte, compa-rer à un vent... de panique.
PHILIPPE AZOURY