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FERNANDO ARRABAL

SE MELANGE LES PINCEAUX

DANS LA MICRO

 

Plus provocateur que Femando Arrabal, tu meurs.
Auteur prolifique de pièces d'avant-garde, peintre vomi ou adulé, cinéaste par intermittence, passionné de jeu d'échecs, le petit barbu narquois n'hésite jamais à dire tout haut ce qu'il ne pense pas tout bas. Quand nous avons appris qu'il s'était mis en ménage avec un ordinateur, nous nous sommes précipités pour pouvoir publier ses peintures informatiques et pour lui extorquer un récit de cette vie de couple infernale. Ce qui nous a appris cette stupéfiante vérité : comme l'ordinateur ne lui sert à rien, Arrabal l'utilise pour tout.

I.AZER

 

"Le charleston pare la femme de mauvaise réputation"

 

"Le complexe d'Oedipe se métamorphose en papillon pour étonner Freud"

 

"La bombe atomique contemplée à Bikini par une baigneuse imprudente"

 

"Iglesias guérissant avec son microphone un couple pris de la danse de Saint-Guy"

 

"Justicier belge devant un clair de Terre"

 

"Le fils de Degas révant de souliers neufs"

 Comment l'ordinateur vous a-t-il aidé à peindre vos tableaux?
Arrabal : Comme une béquille pour mon imagination.
Parce que ça a de l'imagi-nation, un ordinateur?
A.: Non. Mais ça permet de combiner des souvenirs et de les sélectionner grâce à
des images.
Selon quels critères?
A.: Ceux établis par mon programme. il m'obéit au doigt et à l'oeil. Pourquoi dites-vous ça, vous vous méfiez de l'ordinateur?
A. : C'est un pervers. Ils est inhumain et artificiel, et il cache cette pauvreté sous une apparente abondance.
Mais n'est -il pas plus intelligent que l'homme?
A. : Loin de là. Il dispose seulement d'une énorme force brute jointe à une fulgurante rapidité.
Quels souvenirs lui avez-vous proposés?
A. : J'ai introduit dans su minuscule tête de puce une foule de souvenirs sous forme d'images :
la Joconde, Rimbaud, Kafka, Mickey Mouse, etc.
Et comment les a-t-il digérés?
A. : Dans 99% des cas, les résultats ont été tristes, laids et d'une grande banalité.
Pourtant, vous vous en êtes servi. Combien de fois?
A.: Très exactement quarante-deux fois; c'est le nombre de tableaux que j'ai faits en un an avec l'ordinateur.
Combien d'images parveniez-vous à voir défiler sur l'écran chaque jour?
A.: Plus de dix mille. Cela paraît incroyable, mais chaque tableau est le résultat de l'examen d'environ cent mille images.
En combien de temps?
A.: En un peu plus d'une semaine. Je passais dix heures par jour en face de l'écran, et seulement deux ou trois les pinceaux à la main, pour peindre vraiment.
Vos tableaux ont tous des fonds très originaux. Comment les avez-vous réalisés?
A.: J'ai décidé de la couleur de chaque point, et j'ai écrit un programme qui m'a permis de réaliser la couleur des fonds.
Un programme secret?
A.: Pas du tout. Il fait plusieurs pages, mais je suis prêt à le montrer à toute personne intéressée.
Vous n'avez pas peur que d'autres peintres vous copient?
A.: Au contraire, ce qui me ferait le plus plaisir, ce serait de trouver quelques jours pour rédiger un livre dont le titre pourrait être : "Comment je peins mes tableaux".
Quels sont les inconvénients de l'ordinateur?
A. : Il y en a des tas. Il est fruste. Il ne croit ni en Dieu, ni au Talmud, ni en Mahomet, ni à la Vierge Marie, ni à Bouddah. Et ça se voit.
A quoi?
A. : Au fait qu'il lui est impossible de sortir de ses foutus calculs.
Selon vous, l'ordinateur a-t-il fait des progrès?
A.: Très peu pour l'essentiel, qui n'a pas changé depuis que le gendre de Byron a inventé la carte perforée, il y a cent cinquante ans.
Alors pourquoi vous en servir?
A.: A cause de sa manie de la quantité et de sa vitesse presque infinie.
Croyez-vous que vos tableaux auraient plu à André Breton, lui qui était si friand de vos anciennes compositions?
A.: Je pense que non. Foucault les a vus peu avant sa mort, et il a été séduit. Mais Breton n'aurait sûrement pas aimé me voir utiliser cette petite machine dépourvue de passion.
Vous qui êtes auteur dramatique, l'employez-vous pour écrire vos pièces?
A.: Oui, souvent.
Quelle pièce avez-vous écrite avec un ordinateur?
A. : Le Bréviaire d'amour d 'un haltérophile. Le metteur en scène et les acteurs ont d'ailleurs été surpris quand je leur ai révélé.
Comment cette machine "inhumaine et artificielle", comme vous la qualifiez, a-t-elle pu vous aider?
A.: En produisant un fond sonore pendant que j'écrivais.
Vous jouez sur les mots: vous voulez dire que vous n 'avez écrit aucun programme qui vous aide concrètement à écrire une pièce?
A.: Pour l'instant, je résiste à la tentation. Mais c'est une vraie pute, cette machine. D'ailleurs, je m'en sers déjà pour les titres des pièces.
Combien de titres l'ordinateur vous a-t-il aidé à trouver?
A.: Aucun! Mais il me fait des suggestions. Pour Le bréviaire, il m'a proposé L'ange élu de Millet.
L'ordinateur arrive donc à s'adapter à votre tournure d'esprit?
A.: Cela finit par m 'énerver, mais je dois reconnaître que certains de ses jeux de mots font "tilt" !
Quel écrivain pourrait se servir de l'ordinateur?
A.: Aucun parmi les auteurs vivants. Autrefois, peut-être Gongora et Balthasar Gracian.
Votre pièce L'empereur et l'architecte d'Assyrie est considérée par beaucoup comme futuriste. A-t-elle quelque chose à voir avec l'informatique?
A.: Le combat entre les deux personnages est plutôt mythique et cybernétique qu'informatique.
Vous êtes un auteur très joué. Le devez-vous à votre ordinateur?
A.: Non. Je suis le plus joué parce que je suis le plus productif.
Et que pense votre ordinateur de vos pièces?
A.: Que voulez-vous qu'il pense? La seule chose qui l'a intéressé dans Fando et Lis, c'est qu'en chiffrant ces deux noms (A=1, B=2, C=3, etc.), "FANDO" et "LIS" donnent le même total de 40. Comme si j'avais su, en écrivant la pièce à 19 ans, que cette maudite puce allait venir fouiner dans mes histoires d'amour ! Et puis il a eu un de ses commentaires typiques : "Fernando Arrabal devrait figurer dans le Livre des records".
Pourquoi dit-il cela?
A.: Parce que je suis l'auteur vivant le plus joué et le plus productif.
L'ordinateur perturbe-t-il aussi votre autre passion, le jeu d'échecs?
A.: Pas le moins du monde, parce que c'est un joueur minable. Le meilleur ordinateur n'est qu'un débutant comparé aux grands maîtres comme Fischer ou Kasparov.
Et pour vous, est-il un rival?
A.: Ni pour moi, ni pour aucun joueur qui se respecte.
Alors, il ne vous sert à rien aux échecs?
A.: Si, c'est lui qui m'a trouvé le titre de mon livre Echecs et Mythe.
C'est un très bon titre, vous n 'allez pas dire le contraire?
A.: Non. Ne trouvez-vous pas humiliant que mon meilleur titre ait été découvert par mon ordinateur?